Note sur les Rubáiyát de ‘Omar Khaiyám M. Garcin de Tassy
In: Journal Asiatique, No. IX, Paris, 1857
Potter 556
Tant que tu peux n’afflige personne, ne fais subir à personne le feu de
ta colère. Si tu veux jouir du bonheur éternel, sache souffrir
patiemment, et ne fais souffrir personne.
La joie règne dans le monde; mais le spiritualiste se retire dans le
désert. Là, chaque branche fleurie lui représente la blanche main de
Moïse, et chaque souffle de vent l’haleine vivifiante du Messie.
Khayâm, pourquoi ce deuil pour tes fautes, et quel avantage trouves-tu
à dévorer ton chagrin? Celui qui n’a pas péché n’a pas été non
plus l’objet de l’absolution divine. Le pardon est pour les fautes,
pourquoi donc te livrer à la douleur?
Dans l’oratoire du cloître, dans la mosquée, dans la pagode, dans
l’église, on éprouve la crainte de l’enfer et on recherche le paradis.
Mais celui qui connaît les secrets de Dieu n’a jamais jeté dans son
coeur une telle semence.
Voici la saison des roses et du repos au bord du ruisseau et sur la
lisière de la prairie, avec deux ou trois amis et une belle de nature
angélique. Qu’on apporte aussi des coupes de vin, et ne nous mettons en
peine, ni de la mosquée, ni de l’église.
Suivons le chemin du pur amour avant d’être saisi par les étreintes de
la mort. Charmant échanson, ne reste pas inactif, donne-moi de l’eau à
boire en attendant que je devienne de la terre.
C’est parce que ton amour a attiré dans ses filets ma tête chauve, que
je tiens dans ma main la coupe de vin. Tu as anéanti le repentir que ma
raison m’avait inspiré, et le temps a déchiré le vêtement que la
patience avait cousu.
Un amour superficiel n’est pas honorable; il est pareil au feu à demi
éteint, qui est sans force. L’amant véritable doit n’avoir de repos et
de tranquillité ni dans l’année, ni dans le mois, ni la nuit, ni le jour.
Ne laisse pas la colère s’emparer de toi, ni une douleur insensée se
saisir de ton existence. Reste avec tes livres et ton ami au milieu des
champs verdoyants, avant que la terre t’enserre.
Nous devons considérer comme une lanterne magique ce monde mobile oú
nous vivons dans l’étourdissement. Le soleil en est la lampe, et le
monde la lantern oú nous passons comme les figures qu’on y montre.