Roubayyat

Roubayyat. G. Frilley
In: La Persia literaria por Georges Frilley ; Los estudios Persas en Francia por Charles Simond ; versión española por Jesus de Amber. Paris, Michaud, 1914. Pp. 110-115

I
Quand Dieu me pétrit d’argile pour errer sur la terre,
Il savait d’avance mes aspirations et mes actes
Je ne suis devenu pêcheeur que parce que Dieu l’a voulu,
Pourquoi, au jugement dernier, brûlerais-je dans l’Enfer?

II
O mon coeur, puisque le monde n’est qu’ombre et apparence,
Pourquoi te tourmentes-tu en des peines infinies?
Va donc en paix axi devant de ta destinée
Et ne crois point qu’elle doive se modifier par amour pour toi.

III
O mon ami, puisque tu frémis à la pensée
Que ton âme n’habitera pas longtemps ton corps,
Jouis de la vie dans la fraîcheur de son printemps
Avant que les fleuri ne naissent de ta poussière.

IV
Je puis renoncer à tout, sauf an vin,
Car je puis remplacer tout sauf lui seul.
Me ferais-je musulman pour maudire tous les vins?
Non, car sans lui je ne pourrai supporter d’être musulman.

V
Bois du vin qui te réchauffe le coeur
Avant que tous nous ne disparaissions de ce monde,
Défais la chevelure de tes jeunes amies
Avant que tes membres n’attirent les vers du tombeau.

VI
Quand je serai mort lavez mes ossements avec du vin
Et sur mon tombeau au lieu de prières dites des chansons,
Et si vous me cherchez au dernier jugement
Vous me retrouverez dans la poussière devant le cabaret.

VII
Si je me prosterne aux pieds de l’ange de la mort
Comme mi oiseau déplumé pour expier ma vie.
Fais une bouteille à vin de ma cendre,
Peut-être alors l’esprit du raisin me réveillera-t-il.

VIII
Je regardai hier un potier
Il frappait à tour de bras l’argile fraîche.
Alors celle-ci lui dit en son langage:
Ne me frappe donc pas, ne suis-je pas ce que tu es?

IX
Je disais: “mon coeur comprendra toute science
Il est peu de chose que je n’aie considéré”.
Puis quand je réfléchis plus mûrement
La vie est passée, et je ne sais rien.

X
Tu me parles de houris, de paradis,
De l’Eden, de ses près d’or, de ses voluptés,
Tiens, prends cette monnaie et laisse-moi partir.
On n’entend ces tambours que de loin.

XI
La vie n’est pour nous qu’un court caranvansérail;
La tentation et le souci nous y accompagnent sans relâche
Jamais nous ne trouvons la clef de l’énigme.
Nous passons, le coeur plein de soucis.

XII
Un, deux, trois jours et la vie s’évade
Pareille au vent qui passe à travers le désert.
Arrière souci, il est deux jours dont je ne jouis point:
Celui qui est parti et celui que l’on ne voit pas encore.

XIII
Prends à la main la coupe en forme de tulipe,
C’est un enfant au teint de tulipe que je t’offre
Bois gaiement le vin, car le ciel bleu
Peut t’échapper tout à coup comme le vent.

XIV
L’amour doit être sans cesse ivre et fou,
Toujours plein de démence et d’audace.
Car lorsqu’on est à jeun on n’a que soucis.
Ouand on est ivre, arrive ce qui arrivera.

XV
Viens, pour apaiser mon coeur, donne-moi
La solution d’une dernière énigme
Sinon, apporte-moi, pour m’enivrer, cruche et vin
Avant que de ma cendre le potier ne fasse une cruche.

XVI
A un vieillard assis dans le cabaret
Je dis: “Songe à ceux qui ne sont plus”.
Il répondit: “Bois du vin et sois heureux,
Ils sont tous partis et pas un n’est revenu”.

XVII
Dans l’immense domaine d’ici-bas
Il n’est que deux honmies bien contents:
Celui qui peut distinguer le bien et le mal
Et celui qui est doué de toutes les ignorances.

XVIII
Un cri d’appel nie vient du cabaret.
Debout, débauché, reviens, le vin t’a-t-il rendu fou?
Réveille-toi. Nous allons remplir les coupes,
Avant que la nôtre ne soit pleine jusqu’au bord.

XIX
Le monde entier n’est qu’une lanterne magique.
Nous vivons dans le vertige
Le soleil pend au-dessus de nous, comme la lampe, les images.
C’est nous qui passons et disparaissons.

XX
Nous sommes rayés du livre de la vie.
La mort met fin aux joies et aux douleurs;
Veille à ne point laisser ta coupe vide;
Songe que le buveur devient poussière.

XXI
Sans mon vouloir on m’a donné l’être
Et avec étonnement je considère ma vie.
Nous sommes arrachés avec douleur de l’existence,
Sans connaître la cause et le but de notre arrivée, de notre départ.

XXII
L’amour et la passion entraînent la jeunesse;
Le monde est corrompu pour nous depuis les eaux du Déluge.
Voyons donc si nous ne réussirons point
A rendre la vie meilleure en buvant le vin.

XXIII
Personne n’a soulevé le voile du secret du monde,
L’oeil de notre esprit est hélas! entouré de ténèbres,
Nous avons un séjour plus doux qu’au sein de la terre,
Mais nous avons beau songer, l’énigme nous reste fermée.

XXIV
Oh! comme la caravane de la vie nous entraîne vite.
Le moment de la joie part plus tôt qu’on ne l’espère
Aussi ne veux-je point songer à l’ennui qui m’attend demain;
Qu’on apporte le vin! la nuit s’en va bientôt, jouissons du présent.

XXV
Tu considères la vie, mais ce qui dans la vie
Parait sons tes yeux n’est que mirage;
Tu vois et entends beaucoup, Mais le bruit
Qui frappe ton oreille n’est qu’apparent.

XXVI
Maintenant que mon oeil s’arrête à l’apparence des choses
Il me semble que bien peu des secrets de la vie m’ont échappé;
Mais quand je récapitule la somme de mes connaissances,
Je vois que ce qui m’a été révélé ne vaut pas d’être nommé!

XXVII
Vers la casbah s’en vont les croyants du prophète;
La cloche de l’église appelle les chrétiens à la prière;
Croix, chapelet et chaire, je vous loue
Quand vous nous montrez la voie vers Dieu et la vérité.

XXVIII
Ne crois des dogmes que ceux qui élèvent à Dieu;
Donne de ton pain au prochain;
Ne dis rien de mal, ne fais que le bien, ne cause de chagrin à personne.
Et tu auras la vie étemelle. Et maintenant du vin.

XXIX
Puisque rien ne se passe à notre gré dans la vie,
A quoi bon peiner, penser, s’évertuer?
Je reste plongé dans la triste contemplation,
En songeant que je suis venu depuis peu de temps et partirai bientôt.

XXX
Aucun chemin ne nous mène la haut.
Toi seul et moi nous gardons la raison,
Renonce à ce que tu crois, à ce qui est, à ce qui fut,
Car tout n’est qu’ombre, rien n’est vrai, rien n’est réel.

 

Quatrains

Six quatrains. C. Michaux
Les quatrains du Khéyam, traduits du Persan. In: L’Investigateur, Tome IX – IVe série, 1869, p. 27-30

I
Par le simoun qui va blanchissant le ehemin,
Mes jours sont balayés et volent en poussière
Pourtant il en est deux qui ne m’importent guère;
Ce sont le jour d’hier et le jour de demain.

II
O toi qui, dans mon corps, as fixé ton asile,
Pauvre âme! condamnée à maint et maint tourment,
Dis-moi pourquoi tu pris ma chair pour logement,
Puisque tu dois un jour quitter ton domicile.

III
Avant nous, que de jours ont brillé sur la terre!
Que d’astres dans la nuit ont perdu leur clarté!
Prends garde ton pied fôule, en broyant la poussière,
La prunelle des yeux d’une jeune beauté.

IV
Le potier brise-t-il l’ouvrage de ses mains?
Après que tant d’amour créa, pour nous séduire,
Ces êtres enchanteurs, délices des humains,
Quelle haine vient les détruire?

V
Pour le premier pécheur tu fus inexorable,
Grand Dieu tu le chassas de ton beau paradis.
Qu’importait ton pardon, tant qu’il te fut soumis?
Il n’en avait besoin que lorsqu’il fut coupable.

VI
Un rossignol, ivre d’amour,
Vint Un jour se poser sur ma coupe vermeille,
Et m’offrant une rose, il me dit à l’oreille
Souviens-toi que le Temps s’envole sans retour.

Livre troisième ou Livre d’Omar Kheyyam

Livre troisième ou Livre d’Omar Kheyyam.
In: Sub Tegmine Fagi. Amours, bergeries et jeux par Jean-Marc Bernard Dauphinois. Avec un avant-dire de M.S. Mallarmé.
Pp. 131-158

Debout! car le soleil, qui chasse,
Du champ immense de la nuit,
Les astres épars devant lui,
A l’orient montre sa face.

Il recommence sa carrière;
Et le voici, splendide archer,
Qui s’en vient frapper le clocher
De mille flèches de lumière!

Les premiers coqs chantaient à peine
Que tous deux nous heurtions du poing
A l’huis de l’auberge prochaine:
— ” Ouvrez vite à qui vient de loin!

Nous passerons une journée,
Et vous savez bien, compagnons,
Que — votre auberge abandonnée —
Jamais plus nous ne reviendrons!

Remplis la coupe jusqu’aux bords,
Bois; et, dans l’aube printanière,
Secoue et chasse la poussière
De tes ennuis, de tes remords.

L’oiseau du Temps, jeune mortelle,
Ne doit voler qu’un vol bien court;
Et déjà! vois: avec le jour,
L’Oiseau du Temps ouvre son aile!

C’est vrai: les oeuvres les mieux faites
Auront toutes le même sort;
Et le dernier de nos poètes,
Le divin Moréas, est mort.

Mais qu’importe! si toujours l’homme
Doit trouver, aux flancs des coteaux,
Pour méditer, ou faire un somme,
Des prés, des saules et des eaux!

De l’herbe pour s’y reposer;
L’ombre d’un arbre; une eau limpide;
Contre mon coeur, ton front timide
Brûlant encor de mon baiser;

Et réciter des vers, tandis
Que je berce ta lassitude…
Que m’importe la solitude?
Qu’ai-je besoin d’un Paradis!

Il est des hommes qui soupirent
Après les honneurs du pouvoir;
Certains mettent tout leur espoir
Dans les Paradis qu’ils désirent.

Savoure plutôt l’heure unique!
Quant au futur, n’y pense point.
Va! le tambour aussi, de loin,
Fait une agréable musique!

Que ces deux mots: divin, humain,
Ne tourmentent plus ta pensée;
Que dans le vent soit dispersée
L’obscure énigme qu’est demain!

Contente-toi, bien simplement,
D’égarer tes doigts dans les tresses
De la plus souple des maîtresses
Qui t’offre son front rougissant.

Et cependant, jamais, l’été,
Ne fleurit plus belle la rose,
Qu’à l’endroit précis où repose
Quelque César ensanglanté.

Cette autre fleur trop parfumée
Que tes doigts voudraient tant cueillir,
Sans doute qu’elle a dû jaillir
D’une lèvre jadis aimée.

Regarde ces tendres gazons
Qui recouvrent d’une herbe neuve
Les molles rives de ce fleuve,
Sur lesquelles nous reposons.

Ah! repose ta chair si douce
Sur ces gazons, légèrement!
Car qui sait de quel front charmant,
Mais invisible, l’herbe pousse?

Nous, sous la treille de l’auberge,
Joyeux, aujourd’hui, nous buvons;
Et le soleil, jusqu’à la berge,
Nous éblouit de ses rayons.

Mais nous devrons aussi descendre,
Poussière, nous mêler parmi
La poussière, et de notre cendre
Faire la couche, un jour, de qui?

En dépit de leur sainteté,
Ceux qu’on proclama des apôtres
Vénérables, ils ont été
Chassés d’ici comme les autres.

Leur système le mieux construit
Qui donc à présent le révère?
Oui, leur bouche close aujourd’hui
Est à jamais pleine de terre.

Et moi-même, dans ma jeunesse,
Avec ferveur, je fréquentais
Les Docteurs et les Saints. J’étais
L’admirateur de leur sagesse.

J’écoutais leur verbe inspiré-
Mais, quand sonnait l’heure qu’on sorte,
Toujours j’ai repassé la porte
Par laquelle j’étais entré!

Je ne pourrai jamais apprendre
D’où je vins avant d’être ici;
Je ne saurai jamais aussi
Où, bientôt, je devrai me rendre.

Ah! une coupe, par clémence!
Une coupe encore à remplir,
Pour noyer jusqu’au souvenir
De cette horrible extravagance!

Tandis que fleurissent les roses
Le long de ce fleuve dormant,
Je veux boire jusqu’au moment
Où mes deux lèvres seront closes.

Ange cruel, quand tu viendras
M’offrir ta boisson plus amère,
Je saurai prendre alors ton verre
D’une main qui ne tremble pas.

C’est une halte d’un moment;
C’est la saveur momentanée
De la vie. O repos charmant
Dans notre aride destinée!

Mais la caravane déjà
S’ébranle, et nous marchons. La foule
— Grondements et rumeurs — s’en va
Vers le néant, comme l’eau coule…

Nous ne sommes rien que les pions
Du jeu cruel auquel Dieu joue,
Sur l’immense échiquier de boue,
Où s’agitent nos passions.

Il nous meut, d’une main adroite,
De ci, de là, sans grand fracas…
Puis, un à un, quand II est las,
Il nous replace dans la boîte.

Ah! cette coupe renversée
Qu’ils appellent un firmament,
Sous laquelle, race blessée,
Nous nous traînons en gémissant,

Ne levons pas les bras vers elle
Pour implorer un sort plus doux;
Car, dans le vide, elle étincelle,
Plus impuissante encor que nous!

Reprends pourtant ton beau sourire.
Buvons toujours. Je ne veux pas
T’entendre sans cesse redire
Que le Temps glisse sous nos pas.

Hier n’est plus, ô folle tête,
Et Demain n’est pas encor né.
Pourquoi te montrer inquiète,
Puisqu’Aujourd’hui nous est donné?

Me voici vieux et cependant
Je suis toujours ma fantaisie.
Certes, je le jurai souvent
De vivre sagement la vie.

Mais lorsque le printemps naissait,
L’odeur de ses roses légères,
Avec mes remords, dispersait
Mes promesses les plus sincères.

Ce soir encore tu te lèves,
O lune, amicale clarté:
Et, dans le jardin enchanté,
Tu viens nourrir mes tendres rêves.

Plus tard, dans ce même jardin,
O lune, que de soirs encore,
Tu chercheras, jusqu’à l’aurore,
A me revoir — hélas! en vain…

Bientôt tu verras, ô printemps,
S’effeuiller ta plus belle rose;
Pour moi, qui vais avoir trente ans,
Déjà ma jeunesse est déclose.

Ah! la fauvette qui chantait
A l’instant, au fond de l’allée,
D’où venait-elle? Qui le sait!
Où s’est-elle ensuite envolée?

Note sur les Rubáiyát de ‘Omar Khaiyám

Note sur les Rubáiyát de ‘Omar Khaiyám M. Garcin de Tassy
In: Journal Asiatique, No. IX, Paris, 1857
Potter 556

Tant que tu peux n’afflige personne, ne fais subir à personne le feu de
ta colère. Si tu veux jouir du bonheur éternel, sache souffrir
patiemment, et ne fais souffrir personne.

La joie règne dans le monde; mais le spiritualiste se retire dans le
désert. Là, chaque branche fleurie lui représente la blanche main de
Moïse, et chaque souffle de vent l’haleine vivifiante du Messie.

Khayâm, pourquoi ce deuil pour tes fautes, et quel avantage trouves-tu
à dévorer ton chagrin? Celui qui n’a pas péché n’a pas été non
plus l’objet de l’absolution divine. Le pardon est pour les fautes,
pourquoi donc te livrer à la douleur?

Dans l’oratoire du cloître, dans la mosquée, dans la pagode, dans
l’église, on éprouve la crainte de l’enfer et on recherche le paradis.
Mais celui qui connaît les secrets de Dieu n’a jamais jeté dans son
coeur une telle semence.

Voici la saison des roses et du repos au bord du ruisseau et sur la
lisière de la prairie, avec deux ou trois amis et une belle de nature
angélique. Qu’on apporte aussi des coupes de vin, et ne nous mettons en
peine, ni de la mosquée, ni de l’église.

Suivons le chemin du pur amour avant d’être saisi par les étreintes de
la mort. Charmant échanson, ne reste pas inactif, donne-moi de l’eau à
boire en attendant que je devienne de la terre.

C’est parce que ton amour a attiré dans ses filets ma tête chauve, que
je tiens dans ma main la coupe de vin. Tu as anéanti le repentir que ma
raison m’avait inspiré, et le temps a déchiré le vêtement que la
patience avait cousu.

Un amour superficiel n’est pas honorable; il est pareil au feu à demi
éteint, qui est sans force. L’amant véritable doit n’avoir de repos et
de tranquillité ni dans l’année, ni dans le mois, ni la nuit, ni le jour.

Ne laisse pas la colère s’emparer de toi, ni une douleur insensée se
saisir de ton existence. Reste avec tes livres et ton ami au milieu des
champs verdoyants, avant que la terre t’enserre.

Nous devons considérer comme une lanterne magique ce monde mobile oú
nous vivons dans l’étourdissement. Le soleil en est la lampe, et le
monde la lantern oú nous passons comme les figures qu’on y montre.

Les Roubaíyats de Omar Khayyam

Les Roubaíyats de Omar Khayyam. Illustration [par Paul Wardé] des Quatrains d’Omar Khàyyàm, traduit du Persan par Charles Grolleau sur le manuscrit de la Bodleian Library d’Oxford. Paris, Paul Wardé, 2016. – 42 l.; 25 colour illustrations; 30 x 21 cm.

158 quatrains. – Printed on 40 loose leaves.

Rubaiyat by Omar Khayyam

Rubaiyat by Omar Khayyam. Translated in Farsi, English, German, French and Arabic. Tehran, Gooya House of Culture and Art, 2016. 297 p.; 17 x 12,5 cm.; illustrated. – ISBN: 9789647610773.

92 quatrains from 11 translators: Fitzgerald, Etessam Zadeh, Monteil, Kavoussi, Jamálí, Rami, Arriz, Najafi, Sabai, Bostani and Rosen.